Chronique vacharde et ironique sur le courtier de grands crus
Avec le printemps revenu, les jonquilles, les narcisses, les crocus refleurissent et chassent l’hiver et sa langueur monotone. Avec le printemps revenu, les couleurs s’animent, les oiseaux chantent, la vie ressurgit. Avec le printemps revenu, le temps des primeurs et avec lui les dégustations, les présentations, les diners en ville. Temps idéal pour que le courtier de grands crus reprenne une activité sociétale.
Cloitré dans un hiver particulièrement gélif blanchissant le gazon impeccable de parcours de golf, le courtier de grands crus bordelais a trouvé le temps long. Impossible de taquiner la balle blanche, pourtant l’essentiel de son travail. Fort heureusement, le printemps revenu, le courtier s’égaye, sort son minois apaisé par un millésime d’exception et la sensation printanière que l’été sera chaud et bon….en trésorerie.
Il faut protéger le courtier de grands crus. C’est une espèce en voie de disparition. Ils ne sont pas nombreux. Leurs qualités égalent leurs défauts, tant et si bien qu’ils s’annulent en tout et pour tout. Le vin est pour eux un faire-valoir. Peu importe qu’il soit bon ou mauvais, il devient très rapidement une ligne dans un catalogue qu’il convient d’optimiser au maximum. Point de qualité de dégustation, non, seul l’aphorisme compte. Cette sentence énoncée en peu de mots est claire : « 2016 est grand, augmenter tu dois ».
Dans leur bureau du cours Xavier Arnozan ou de l’hypercentre bordelais, ils disent le monde qu’ils ne connaissent pas, celui de la viticulture. Ils dissertent, vantent les mérites de tels ou tels, s’énervent des commentaires de certains journalistes et veillent précieusement à leur bienêtre. Finalement, rien que de très banal, de particulièrement ennuyant.
Alors quand le printemps revient, qu’il a la possibilité de se faire voir, de nouer une relation commerciale, le courtier de grands crus revit. Il est comme un poisson dans l’eau. Sauf que lui ne sait nager qu’au milieu d’une foule acquise à sa gloire.
L’autre jour, dans un diner particulièrement ennuyant, l’un d’eux monopolisait la parole. Il a des choses à dire le courtier de grands crus quand il est en société. Durant tout le repas, ce ne fut que génuflexions et circonvolutions pour nous expliquer la qualité de son travail, sa valeur ajoutée, son dévouement personnel. Il est comme cela, le courtier de grands crus, il ne compte pas sa passion, juste son argent. Au dessert, lassé et éreinté, il dit à son voisin. « Finissons-en ! Assez parlé de moi. Parlons un peu de vous. Que pensez-vous de ma dernière voiture ? ». Il est comme cela le courtier de grands crus, sans filtre.
Quelques vers en son honneur :
Une bordelaise apprêtée, remplie d’urbanité, tenait dans son trousseau un château. Un courtier, par l’odeur alléché, lui tint à peu près ce langage.
Que vous êtes jolie, que votre château me semble beau. Sans mentir, si son ramage se rapporte à votre plumage, vous êtes la déesse des hôtes de ces vignes.
A ces mots, le propriétaire ne se sent pas de joie. Elle lâche une exclusivité donnant tous pouvoirs à l’homme de la courtoise société.
Le courtier s’en saisit, et dit : “Apprenez, gente demoiselle, que tout courtier vit aux dépens de celui qui l’écoute”.
La propriétaire, peinée et confuse, jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y reprendrait plus.