Même si cela me peine, je dois bien avouer que les anglo-saxons sont en avance sur nous quand il s’agit de l’éducation et de l’apprentissage sur le monde du vin en général. Les deux derniers livres publiés sur les cépages le prouvent. Le premier, Wine Grapes, véritable bible écrite notamment par Jancis Robinson, décrit quelques 1368 cépages mondiaux, tous produisant du vin. Nous en avons déjà fait état ici. Le deuxième vient de sortir et est l’œuvre de mon ami Ian d’Agata avec qui je déguste souvent à Bordeaux. Il s’agit de Native Wine Grapes of Italy, l’une des références pour tout amateur de vins d’Italie (ou d’ailleurs) désireux de comprendre l’ampélologie (excellent chapitre où il explique comme Mr Berrouet lui a fait changer de terme en utilisant « ampélologie » à la place « d’ampélographie ») et le monde fantastique des cépages natifs italiens. Ian, ancien chirurgien gastrique et pédiatrique, est un être d’une rare intelligence et son livre s’en ressent avec une approche pédagogique parfaite.
Tout cela pour dire que les anglo-saxons publient des livres majeurs (plus de 800 pages pour Wine Grapes et quelques 600 pages (sans photo) pour Native Wine Grapes of Italy) alors que nous, français dont le vin est notre ADN, ne publions que très peu de livres sur le sujet. Certes, dans quelques temps, sortira le livre de Pierre Gallet sans toutefois être d’une grande ouverture tout en étant d’une grande rigueur, mais quel éditeur oserait publier un opus aussi dense en français ?
Cet amour anglo-saxon pour les cépages en général et les cépages autochtones en particulier marque une réelle distension avec ce qui se passe sur le terrain : la disparition des cépages autochtones. En France, et notamment dans le Languedoc Roussillon, on assiste à une disparition inquiétante des cépages régionaux. Forcés par les conseillers des Chambres d’Agriculture, les viticulteurs arrachent des cépages intéressants au profit de cépages plus internationaux et, bien sûr, plus faciles à cultiver. En 1979, le Carignan représentait 174 850 hectares dans la région pour chuter à 31 614 en 2010. L’Aramont lui périclitait de 57 500 ha à 1 300 ha en 2010 (même si ce dernier ne produit pas des grands vins). Dans le même temps, le Merlot connut une croissance exponentielle avec 4029 ha en 1979 et 40 232 ha aujourd’hui. De même pour la Syrah avec 2 261 ha en 1979 et 27 668 ha aujourd’hui.
Dans de nombreuses appellations du Languedoc, l’INAO, encouragé par les Chambres d’Agriculture (et donc des techniciens/bureaucrates), a autorisé imposé la plantation de cépages venus d’ailleurs. C’est le cas de la Syrah. J’adore ce cépage qui me donne beaucoup d’émotions, mais planté en Rhône Nord, sur des terroirs de schistes et de granits, pas sur des terroirs calcaires, graveleux ou argileux du Sud de la France. De même, ces régions ventées ne sont guère favorables à la Syrah qui reste très fragile, pousse mal lorsqu’il y a beaucoup de vent et doit être palissée car les branches sont très fragiles. Les instances dirigeantes ont décidé que la Syrah devait être présente dans les vins du Languedoc, quitte à détruire le caractère des vins. Une Syrah mal maîtrisée donne des arômes primaires de poivre, des bouches acides et fluides, loin, très loin, de ce que l’on recherche dans un vin du Languedoc.
De même pour le Merlot, cépage ô combien international. Tout le monde sait que le Merlot a besoin de fraîcheur et que sa fine peau s’altère vite sous le soleil brûlant du midi. Ce n’est pas pour rien qu’il est bien à Bordeaux, région très humide malgré l’image d’Epinal que l’on nous en donne. Alors pourquoi s’imposer une telle contrainte et se tirer une balle dans le pied ? Tout simplement pour faire des vins comme les copains, j’entends les producteurs de vins du Nouveau Monde. Copier est plus facile qu’exister.
Même à Bordeaux, haut lieu du traditionalisme et de l’inertie, les choses commencent à changer. De plus en plus de vins de la rive Gauche ou des Graves se « merlotisent » pour donner à croire aux consommateurs que les vins sont meilleurs. Certes, ils sont plus expressifs dans leur jeunesse, là où le Cabernet est austère et fermé, mais de là à croire que les vins du Médoc sont des vins à dominante Merlot, le rubicond est franchi. Là encore les vinificateurs veulent des vins qui se boivent rapidement et par un maximum de personnes quitte à détruire la caractéristique du lieu. On croit savoir ce que veulent les consommateurs par des études pseudo-marketing alors qu’on se coupe, finalement, de leurs vraies envies.
Fort heureusement, ces dernières années, les consommateurs s’éloignent des sempiternels chemins balisés pour se balader dans les dédales émouvants des cépages autochtones. Sans le savoir, ils apprécient des cépages comme le Bourboulenc, le Carignan, le Cabernet Franc tant décrié sur la rive droite et qui donne de si beaux vins quand il est correctement travaillé. Dans un acte de résistance héroïque, le goût du consommateur est plus sûr que celui des technocrates et des vignerons suiveurs. Car les vignerons ont leur part de responsabilité dans cette affaire. Ne nous leurrons pas, si les cépages internationaux sont adoptés c’est aussi parce qu’ils sont plus faciles à cultiver et possèdent des rendements plus généreux. Facilité du travail viticole pour une déshérence de la biodiversité. Le Cabernet Franc, mal aimé de Bordeaux car il est capricieux et demande un travail de patience, le Carignan dont certains pensent encore qu’il est impossible de faire de grands vins avec, le Mourvèdre qui fait le délice de Beaucastel et de Clos des Papes mais tend à disparaître de l’appellation. Et bien d’autres encore.
C’est donc la simplicité de travail, l’économie de temps et d’énergie qui prévalent et pas forcément le goût du consommateur. CQFD.
Et puis, il y a aussi notre erreur à nous, journalistes du vin, qui ne nous autorisons pas à ajouter des écrits sur les cépages dans nos revues sous prétexte que les consommateurs ne s’intéressent pas à ces choses là. Qu’en savons-nous finalement ? Même le sempiternel goût international ou goût « Parker » tend à faire mentir les statistiques car les consommateurs, les forums, les blogueurs sont de plus en plus nombreux à rechercher des vins authentiques, des vins de lieux, des vins de vignerons. C’est bien cela que nous recherchons, des vins de vignerons qui connaissent leurs vignes (et leurs cépages) au détriment de vins de vinificateurs qui standardisent un peu la chose. En d’autres mots, n’ayons pas peur de la différence, bien au contraire…
1 comments sur De la disparition des cépages autochtones…
Il est vrai que trop de détails sur les cépages peut perdre le lecteur, mais une approche pédagogique peut,
je pense, attiser sa curiosité. Libre à lui par la suite d’aller chercher l’information ou demander un article à un(des) journaliste ou blogueur.