Livre : « Le monde du vin aujourd’hui » – Jacky Rigaux

Dans ces temps incertains, tout au moins dans cette ère d’évolutions rapides et de schismes intellectuels, l’épistémologie, l’étude critique des sciences déterminant leur origine, leur portée et leur valeur, est toujours nécessaire. Comprendre le futur à l’aune du présent ou du passé est devenu d’une importance vitale. Malheureusement, dans le monde du vin, il existe peu de penseurs qui voient le vin tel qu’il est et non comme les marchés voudraient qu’il soit. Il existe peu de penseurs du vin alors que les « parleurs » du vin sont légion.

À bien des égards, Jacky Rigaux est de cette trempe. Psychanalyste en terres bourguignonnes, il fut l’ami d’Henri Jayer et de Didier Dagueneau, deux vignerons « stars » qui ont marqué la viticulture française et internationale. Du premier, il fut, et reste, le biographe officieux, auto-déclaré officiel pour notre plus grand plaisir, du second l’ami, le confident, l’un des rares à même de traduire en mots la pensée complexe de cet artiste ligérien. Il fut également l’instigateur des « Rencontres Henri Jayer », cet espace d’échange et de partage qui unit les vignerons, et eux seuls, tous les ans dans un « think tank » cordial, bien loin des idéaux anglo-saxons dominants et toujours dans le sens de l’intérêt commun. Il est aussi l’auteur de nombreux ouvrages, sur Henri Jayer bien évidemment, sur différents vignerons forcément, sur les vins de Bourgogne bien sûr, notamment sur Gevrey-Chambertin, son village d’adoption, mais également sur la biodynamie, sur la dégustation, sur ses pérégrinations dans le vignoble. Tous, à divers degrés, traduisent une ou plusieurs parties de l’oeuvre à venir, du maitre ouvrage de Jacky Rigaux. Car avec « le monde du vin aujourd’hui », toujours chez la Maison d’édition Terre en Vues, Jacky Rigaux réalise, en quelque sorte, un condensé de sa pensée : défense des vins de terroirs contre les vins industriels, nécessité d’une esthétique du vin, développement des gouts de terroir grâce à la biodynamie, vision vinaire par l’entropie culturelle du métier, découverte des pratiques saluées et salutaires et enfin, sa découverte ontologique, la dégustation géo-sensorielle.

Alors oui, on pourra contredire notre intellectuel bourguignon, né près de Pouilly-sur-Loire dans la Nièvre, en objectant que la biodynamie n’est pas la panacée dans la production de grands vins et l’affirmation du terroir ; oui, on pourra expliquer, comme le fait Anselme Selosse dans son dernier interview, que suivre un calendrier lunaire revient à s’enfermer dans un champ lexical un peu trop réduit pour écouter la nature ; on pourra apporter la preuve, par la dégustation, que des vins dits « conventionnels » sont aussi bons, voire meilleurs que d’autres vins en biodynamie, et que le terroir, cette alchimie bien particulière, est tout aussi bien retranscrit dans le premier que dans le deuxième ; on pourra s’interroger sur le bien-fondé des moines cisterciens dans le découpage virgilien des climats de Bourgogne ; on pourra évoquer Roger Dion pour apporter une vision plus pragmatique du terroir, des grandes régions de production et reprendre à l’envi, comme Jacky le fait brillamment, la phrase de Pierre Veilletet (journaliste bordelais) : « il n’y a pas de grand vignoble prédestiné, il n’y a que des entêtements de civilisation » ; on pourra s’amuser de la présence de Liber Pater, ce vin empreint de storytelling, bien loin des idéaux du terroir, au prix de vente ahurissant, entre le fabuleux Cros Parantoux et le projet de Francis Ford Coppola, Inglenook ; on pourra, enfin, prouver que la dégustation géo-sensorielle n’est pas la panacée, que certes la bouche est plus importante que le nez, mais que seule une viticulture de haute couture, quelle que soit la méthode de culture employée, est à même d’élaborer un grand vin. Mais on ne le fera pas !

Pourquoi ? C’est très simple, parce que Jacky Rigaux est un penseur, un défricheur, un intellectuel du monde du vin. Il écoute, analyse, digère et écrit, dans un style clair, précis, cristallin, un peu comme les vins qu’il aime, le vin d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Il ne porte pas de jugement, il n’impose rien. Il donne, dans la plus pure expression de sa plume libre, le mouvement de sa pensée. Il convoque l’histoire, les sciences, la philosophie, la viticulture, l’œnologie, la théorie des sens et celle de l’eau, les bonnes pratiques viticoles. Il milite pour une dégustation plus géo-centrée, pour une viticulture de haute couture, pour l’inclusion du vin dans la sphère culturelle quand on le laisse dans la mouvance hédoniste. Avec Jacky Rigaux, penser le vin est aussi intéressant que le boire. Réfléchir le vin est aussi jouissif que le déguster. Soyons heureux et reconnaissants qu’il nous apporte des pistes de réflexion et d’action. Plus que jamais, le monde du vin en a besoin. Oui, plus que jamais, le « vin est affaire de philosophie » comme aimait à le dire Henri Jayer.

 

« Le monde du vin aujourd’hui » – Jacky Rigaux
Éditions Terre en Vues
ISBN : 978-2-916935-44-7
Prix : 20 €

Librairies indépendantes : 

Mollat : https://www.mollat.com/livres/2482899/jacky-rigaux-le-monde-du-vin-aujourd-hui

Athenaeum : https://www.athenaeum.com/livre/17775479-le-monde-du-vin-aujourd-hui-jacky-rigaux-terre-en-vues

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