Phantom Reds of Piedmont

Nous sommes le 31 octobre, date de célébration d’Halloween, une fête païenne d’origine celte, le nom étant un dérivé de « All Hallow’s Eve » ou la veille de la Toussaint. Elle était liée à une autre célébration celte plus ancienne, appelée Samhain, signifiant la fin de l’été, et qui fêtait la fin des récoltes avant l’arrivée de l’hiver. Qui dit récoltes dit vendanges, donc il est permis de trouver un fil conducteur vers le vin.

Je me souviens d’un projet en 2006, resté inabouti il me semble, de quelques vignerons du Languedoc dont Daniel Le Conte des Floris pour créer une journée du Carignan, comme pour le beaujolais nouveau ou les primeurs, avec cette proposition :« La communication, qui pourrait s’appuyer sur une date originale, par exemple Halloween (le 31 octobre de chaque année), pourrait s’articuler autour d’un slogan amusant, et un peu provocateur ; “Le carignan, un cépage qui fait peur!”. Notre but serait d’inciter nos amis cavistes et restaurateurs à profiter d’une telle fête pour créer un évènement chaque année avec déguisements, monstres, citrouilles, …»

En effet, de cette coutume celte est venue une tradition de costume et de déguisement, qui fait le succès contemporain d’une fête adorée par les enfants, et même par les grands enfants que sont les adultes ayant su garder un esprit juvénile.  Si on avait l’esprit malin, à défaut d’une dégustation du carignan, « le cépage qui fait peur, » on pourrait profiter de cette journée du 31 octobre pour soumettre à l’aveugle à ses amis amateurs de vins un bordeaux bien grimé par le bois neuf déguisé dans une bouteille bourguignonne et voir s’ils découvrent la supercherie.

Ou bien, sans duperie, on pourrait ouvrir leurs horizons en leur servant ce que j’appelle les « phantom reds » du Piémont.

Le Piémont est une région au nord d’Italie située autour de la ville de Turin. Elle est seulement la septième région viticole d’Italie en termes de production, mais elle abrite le plus grand nombre de toutes, en termes d’appellations, dont 17 DOCG, la catégorie la plus prestigieuse, mais aussi 42 DOC.

On sait que, selon le dicton, Bacchus aime les collines, donc il doit vraiment adorer le Piémont, car c’est l’une des rares régions viticoles au monde qui autorise la culture de la vigne uniquement sur les collines, et jamais dans les plaines.

Il ne s’agit pas ici d’un seul et long coteau comme dans la Côte de Nuits en Bourgogne, mais d’une pléthore de collines et d’un patchwork de vignobles aux multiples expositions. Cela constitue un véritable défi pour obtenir le mûrissement des raisins recherché chaque année sur la corde raide, surtout quand il s’agit du cépage drapeau de la région, le nebbiolo, le seul autorisé pour les grands vins rouges piémontais que sont les barolo et les barbaresco.

En raison de cette problématique de maturité selon l’exposition, la plupart des producteurs cultivent d’autres cépages rouges pour les sites moins bien exposés. C’est de ces cépages « accessoires » que je veux parler. En fait, le Piémont dispose d’un véritable trésor de cépages indigènes.

Tout à l’heure j’ai parlé du patchwork de vignobles, et justement, de fil en aiguille, je vais raconter une histoire de couture, sans parler des vins de haute couture comme le barolo mais plutôt de ceux de petite couture.

Au cinéma, on a pu voir il y a quelques mois le film magistral de Paul Thomas Anderson avec l’acteur Daniel Day Lewis dans le rôle principal, un film intitulé PHANTOM THREAD, ou « le fil fantôme ». Cela raconte l’histoire d’un couturier qui dissimule dans les doublures des robes un message pour maintenir un lien secret, un « fil invisible » avec sa clientèle.

Mon message à moi concerne les Phantom Reds, les vins rouges méconnus du Piémont, dotés d’une couleur pâle comme un fantôme et d’une saveur simple mais gouleyante. Je propose donc d’ajouter au grand manteau d’hermine porté par le roi Barolo un ourlet caché, et composé de cépages plus modestes certes mais méritoires.

Je ne vais pas disserter sur les vins issus des cépages assez répandus comme la barbera qui est le cépage le plus planté dans le Piémont, loin devant le nebbiolo. Je ne vais pas non plus m’étendre sur un cépage précoce nommé dolcetto, qui veut dire le petit doux, mais je rappelle que ce nom ne désigne pas unvin doux mais un vin ayant une acidité relativement basse, surtout par rapport au nebbiolo. Il donne de jolis vins dotés d’un bouquet de fruits rouges sur une envolée florale de violette et d’une saveur d’amandes fraîches en finale. Enfin, je ne parlerai non plus du cépage nommé la freisa, un parent proche du nebbiolo avec lequel il partage un ADN similaire. La freisa donne des vins moins raffinés, plus sauvages et terreux en style.

Je préfère soulever le voile d’un vieux cépage piémontais, le pelaverga. Cépage vraiment rare, presque en voie de disparition, car il n’en reste que 12 hectares, très peu par rapport aux 12 000 hectares plantés en barbera dans le Piémont. Heureusement le grand producteur de barolo nommé G.B. Burlotto fait partie des courageux qui persistent à cultiver ce cépage qui donne un vin de couleur pâle, avec un fruit délicieux qui va vers la fraise et la framboise, mais avec une touche poivrée qui n’est pas sans rappeler un autre cépage rare mais en France cette fois-ci, le pineau d’aunis.

Autre cépage modeste, le brachetto. Souvent utilisé pour un rouge pétillant, mais sublimé en vin rouge sec par un grand producteur de barbaresco, Sottimano, dans une cuvée nommée Maté.

Je termine avec l’histoire édifiante de ruchè, avec accent grave et prononcé ru-ké. En effet, ce cépage a connu un épisode grave dans son histoire, sa quasi-disparition avant sa résurrection par un prêtre, le Don Giacomo Cauda, qui l’a découvert parmi les vignes autour de son église quand il est arrivé en 1962 dans sa nouvelle paroisse, le village Castagnole Monferrato. Don Cauda a prêché la bonne parole pour valoriser ce cépage au point qu’une DOC, une appellation spécifique pour lui a été créé en 1987, suivie d’une promotion au statut supérieur, DOCG, en 2010.

Le ruchè donne un vin gourmand, très aromatique dans un style qui rappelle le muscat noir. Le raisin est riche en sucre donc le degré d’alcool peut être généreux, mais cela contribue à sa gourmandise et lui destine une place à table, même avec un plat asiatique comme un pigeon cuisiné à la sauce soja. Donc tout en vous souhaitant en cette journée d’Halloween un bon appétit en compagnie de ces cépages fantômes qui expriment un caractère espiègle et joyeux, je vous incite surtout à ne pas avoir peur de ces « Phantom Reds. »

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