Sans nul doute, c’est une œuvre familiale. Impossible d’affirmer le contraire. Pourtant, quand Jean-Charles Cazes, qui dirige l’ensemble des vignobles français et internationaux de la famille Cazes et notamment le Château Lynch-Bages, nous fait la visite, on le sent habité par ce projet titanesque débuté par « l’envoi de la lettre d’intention en 2009 » et finalisé juste avant les vendanges 2020. Plus de dix années d’immersion totale pour un projet qui résonne et s’impose comme une œuvre monumentale.
Le courrier de proposition fut donc envoyé en 2019 à Chien Chung Pei, aussi appelé Didi Pei. Cet architecte américain est le fils du célèbre Ieoh Ming Pei, le créateur de la pyramide du Louvre. Comme son père, l’architecte aime les bâtiments empreints de transparence, de fonctionnalité, de sobriété, le tout baigné par des lumières naturelles dans un doux jeu d’ombre et de lumièrs. « Didi Pey est parfaitement francophile et il a vécu six années à Paris » explique Jean-Charles Cazes. « Il fut l’architecte résident du projet du Louvre et notre cuvier est son premier projet viticole », ajoute-t-il avec enthousiasme.
Nous voulions un style contemporain très épuré
Un premier projet particulièrement réussi tant l’oeuvre de l’artiste est ici parfaitement retranscrite : fonctionnalité et modernité. « Nous voulions un style contemporain très épuré » analyse Jean-Charles Cazes « et nous voulions quelque chose qui s’inscrit dans notre temps tout en rendant hommage aux concepteurs de Lynch-Bages et notamment au chai Skawinski de 1850, premier chai gravitaire » et bijou de technologie pour l’époque, jalousement conservé dans l’écrin actuel et qui sera prochainement ouvert au public.
La construction d’un chai marque les époques chez la famille Cazes. Il faut dire que lorsque Jean-Michel Cazes, le père de Jean-Charles, a repris la direction du domaine en 1973, il ne tarda pas à construire un chai innovant pour l’époque. Il vit le jour en 1975, en même temps que l’ouverture internationale du domaine au monde, dont Jean-Michel fut l’instigateur. Trente quatre années plus tard, c’est au tour de son fils de s’engager dans le projet de sa vie.
Un projet qui repose sur trois axes d’amélioration que s’est imposé Jean-Charles : la réception vendange, la sélection parcellaire et l’espace de travail, passant de 2 200 m2 pour l’ancien chai à 3 800 m2 pour ce nouveau bâtiment. Un chantier colossal donc dont « la décision importante fut de tout faire d’un seul coup » assure le dirigeant de 47 ans. « Nous voulions réaliser le chai par étapes sans avoir à construire un bâtiment temporaire. Au bout de 3 ans d’études, nous avons pris la décision de tout faire d’un seul coup ». C’était parti.
Plusieurs années de travaux
S’ensuivirent plusieurs années de travaux intenses, de destruction, de construction, de réflexions techniques et stratégiques, d’imbroglios, de joie, d’impatience, de ras-le-bol, avant que les raisins de la vendange 2020 du Château Lynch-Bages ne rejoignent leur nouvel écrin à plusieurs étages.
De l’extérieur, le bâtiment impressionne. Sa façade de verre impose, mais ne livre rien. En s’approchant, on découvre deux magnifiques escaliers, prouesses architecturales, et on touche du doigt l’esprit du lieu : un mélange audacieux de matériaux contemporains comme le verre, le béton et l’acier et de matériaux plus traditionnels comme le bois, les carreaux de Gironde ou les murs enduits de tadelakt. Tout est harmonisé dans une prouesse architecturale qui laisse la place libre à la fonctionnalité. Car n’oublions pas qu’un chai est avant tout un lieu de travail.
Tant dans les bureaux administratifs que dans la partie technique, tout a été pensé, étudié et élaboré pour être fonctionnel. Ainsi, le toit, reprenant le style shed, cet anglicisme qui définit une toiture en dents de scie formée d’une succession de toits à deux versants de pente différente, dont la fonction est d’amener la lumière au coeur de l’ouvrage. Un chai immense en l’occurrence qui doit accueillir les raisins du vignoble de plus de 100 hectares où 80 cuves sont alignées comme à la parade. Des cuves ascenseurs, un espace de travail gigantesque, une ouverture sur le chai Skawinski et une lumière traversante participent de l’immensité et de la beauté de l’ouvrage.
Le chai à barriques, « où deux récoltes peuvent être accueillies », regorge d’innovations comme le faux plafond en grille inox intelligemment proportionné ou le béton brut, aux teintes différentes selon la saison d’élaboration, donne une sensibilité et une atmosphère délicate.
La salle de dégustation, très légèrement en retrait du niveau zéro clôture la visite et laisse contempler le village de Bages, ce pôle œnotouristique inventé par Jean-Michel Cazes qui fut précurseur de l’accueil touristique dans cette partie du Médoc et en France, qui porte désormais en son coeur une œuvre contemporaine et aboutie.
L’œuvre d’une vie. Celle de Jean-Charles Cazes pour sa famille. Une œuvre qu’il faut voir comme un relai, un trait d’union entre le père et le fils et qui unit leurs passions communes : l’architecture, l’art, la technologie et Lynch-Bages.