Après un millésime 2017 très hétérogène, un millésime 2018 exceptionnel, l’année 2019 semble prendre des atours inédits et jouer avec les nerfs des vignerons à qui le réchauffement climatique impose une grande disponibilité et une vigilance de tous les instants.
Ainsi, 2019 à Bordeaux, a été une difficile équation à résoudre, comprenant de multiples inconnues.
Première d’entre elles, la floraison. Sous un temps relativement frais et pluvieux, ce stade primordial de la vigne ne s’est pas déroulé sous les meilleurs auspices. S’étalant dans le temps, la pluie a engendré de la coulure (avortement de la fleur de vigne), mais également du millerandage (fécondation imparfaite qui donne des petits fruits et des maturités hétérogènes). Le vigneron, sans connaitre ni le rendement ni la qualité, devait donc se mettre en ordre de bataille pour prévoir des passages successifs et l’élimination des baies gênantes.
Puis vint, en deuxième inconnue, dès fin juin/début juillet, la canicule. Alors que le temps n’avait pas été très clément, la météorologie a changé radicalement pour passer vers un ciel bleu avec des températures très importantes, notamment en juillet, faisant de 2019 l’une des années les plus chaudes de la décennie. Cette canicule, couplée à un manque d’eau (même si le 25 juillet quelque 25 millimètres d’eau tombèrent) a commencé à faire souffrir les vignes les moins bien préparées et les terroirs les moins bien exposés. Certaines vignes (notamment les plus jeunes) ont subi des défoliations ou des stress hydriques, sans que cela ne soit la norme. Plus que jamais, les stratégies viticoles vont impacter le millésime. D’ailleurs, il y a eu de la grillure, le soleil ayant brulé certaines faces de grappes, voire certaines grappes. N’oublions jamais que la feuille de vigne est là pour protéger les raisins et abrite la photosynthèse…
L’été s’est engagé sur la véraison, troisième inconnue de ce millésime. Du fait d’une floraison complexe avec de la coulure et du millerandage, les baies n’ont pas eu le même cheminement homogène tout au long du processus. Un simple tour dans les vignes au mois d’aout suffit à voir des baies totalement vertes au milieu d’une grappe déjà totalement rouge. Cette différence de maturité est ineffaçable. On comprend désormais le risque de se retrouver avec une quantité non négligeable de raisins imparfaitement murs. Fort heureusement, les vignerons attentifs, au lieu de se tremper les pieds sur les plages ensablées de l’arc Ferret-Capien, étaient dans le vignoble pour éliminer et préserver la vigne des fortes chaleurs.
Depuis plusieurs années, les conditions climatiques de fin d’été permettent de réaliser de très beaux millésimes à Bordeaux. Cette année n’y échappera pas. Toutefois, pour toutes les raisons que nous venons d’évoquer, force est de constater que les terroirs ont des réactions différentes. Au sein d’une même propriété, les maturités sont différentes selon l’exposition, le terroir, mais également le porte-greffe ou la charge sur pied et ce millésime, de par sa spécificité, augmente cet écart.
Les vignerons ont dû alors faire face à une nouvelle et quatrième inconnue, la date de ramassage. Alors que certains avaient la sapience nécessaire pour définir une date de vendange à 15 jours, et toujours depuis les rives ensablées du Bassin d’Arcachon, d’autres étaient dans le vignoble pour gouter tous les matins et enclencher les ramassages selon la date optimale. Il est aujourd’hui une mode d’opposer les tenants d’une maturité précoce aux adeptes d’une maturité tardive. Préférons le terme de « maturité juste » pour évoquer la nécessaire adaptation à chaque vignoble, à chaque terroir, mais aussi pour laisser aux vignerons prenant des risques la responsabilité de ces derniers. Tôt ou tard, peu importe, seule la qualité du vin guidera la réalité de l’instant.
En résumé, 2019 est un millésime de présence au vignoble et de bon sens paysan. Les quatre inconnues forment une équation difficile que seul un facteur commun peut amoindrir : le bon sens paysan retranscrit par une présence accrue dans la vigne et le savoir-faire vigneron qui manque malheureusement encore à certains.
En matière de qualité, il est bien sûr trop tôt pour annoncer des vérités. Mais la dégustation de nombreux premiers jus, l’éclat du fruit, la prise de couleur et la densité qui arrivent très rapidement cette année sont des indicateurs positifs. 2019 pourrait être aussi impressionnant que 2018, c’est peu dire. Et parce qu’il faut, à l’instar de ce millésime et des vignerons, prendre quelques risques, gageons que certaines propriétés pourraient se rapprocher très fortement de 2018 et pour certaines le dépasser. L’apprentissage est aussi affaire de temps.